Baisse des Prix des produits pétroliers en RDC : « AVANTAGES et INCONVENIENTS », démonstration de Georges-Kettel Yamba
Dans un débat scientifique, pour permettre de bien cerner le problème, on envisage toujours une antithèse à la thèse. Dans ce cas d’espèce, je considère les inconvénients de la baisse des prix des produits pétroliers comme l’antithèse.
C’est cet exercice scientifique que l’Economiste Georges-Kettel YAMBA NGOIE soumet à l’appréciation de la population congolaise et du Gouvernement pour comprendre le bienfondé de cette mesure de baisse de prix à la pompe, et en tirer les conséquences.
Georges-Kettel YAMBA NGOIE
Administrateur COBIL SA
Analyste économique
1. Avantages de la baisse des prix des produits pétroliers (Thèse)
Le prix de l’essence à l’ouest (entre autre Kinshasa) est passé de 3.490 à 2.990 FC, soit une baisse de 500 FC (14,33%). Pour les deux types de principaux consommateurs de ce produit, l’un a une moyenne de 50 litres d’essence par semaine pour un véhicule à usage personnel. Il aura épargné 35 $US dans le mois, soit environ 100.000 FC.
Pour le second consommateur d’environ 180 litres d’essence par semaine pour un véhicule affecté au transport urbain, il épargne environ 75 $US ou 216.000 FC par mois.
De ces faits, les deux catégories font des économies substantielles liées à la baisse des prix du carburant à la pompe. C’est un point très positif dans la mesure où il cadre avec la vision de Son Excellence Monsieur Felix Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, Président de la République, Chef de l’Etat, qui, lors de son discours d’investiture le 20 janvier 2024, avait dit je cite « protéger le pouvoir d’achat des ménages : en stabilisant le niveau de l’inflation et en maîtrisant le taux de change ».
Un autre avantage et non le moindre, consiste aux attentes de la population. Elle s’attend à ce que cette baisse des prix des carburants entraine une déflation, c’est-à-dire, la baisse généralisée des prix des biens et services (surtout le transport urbain et interurbain). Mais, il y a seulement 30% de la population kinoise qui est véhiculée, en raison de 20% pour le transport urbain (commercial) et 10% pour les privés. Donc cet avantage concerne une infime partie de la population.
2. Inconvénients de la baisse des prix des produits pétroliers (Antithèse)
La règlementation en vigueur stipule que l’évolution des prix des carburants à la pompe dépend de la variation de certains paramètres au-delà du seuil de tolérance de plus ou moins 5%, notamment le coût d’acquisition du produit (prix moyen frontière, PMF en sigle), le taux de change, le volume mis en consommation.
Ces valeurs sont fixées ou calculées selon les textes règlementaires (Arrêtés ministériels et interministériels, code douanier, cotation Platts). Rien n’est fait arbitrairement.
2. 1. Le prix moyen frontière commercial, PMFC en sigle
Le PMFC, exprimé en USD par m³, est la moyenne pondérée des valeurs CIF des stocks des produits pétroliers Est-Ouest-Sud. Il est constitué à 75% des cotations Platts, 20% du différentiel de transport et 5% des débours.
Le PMF est une valeur la plus importante qui permet de garantir l’approvisionnement du pays en carburant. Sa détermination se fait en concertation avec le fournisseur (celui qui amène les produits au port de Matadi), la profession pétrolière (ceux qui transportent et commercialisent ce produit) et l’Etat congolais (fixe le prix de revient ainsi que la fiscalité et la parafiscalité pétrolières à payer).
Le PMF est tributaire des cotations Platts (valeurs boursières à la place ARA : Amsterdam, Rotterdam, Anvers) sur la place du marché international des produits pétroliers. Le Gouvernement congolais, tant qu’il aura à importer ces produits, est obligé de se soumettre.
La situation de Platts NWE se présente comme suit, au 4 octobre 2024, après la publication de la structure des prix qui a revu à la baisse le prix à la pompe :
Lorsqu’on considère la valeur Platts de l’essence à la fermeture, au 4 octobre 2024, dans le tableau II, elle est de $ 711,75. A cette valeur, on est sensé ajouter le différentiel de transport (environ 20%, soit $ 142,35), et les débours (5% soit $ 35,58), pour obtenir un PMF réel de l’essence égal à 889,68 $/m3 ; la différence entre le PMF réel et le PMF structure du Tableau I, est de 305 $ que les sociétés commerciales vont perdre par m3 d’essence vendu à l’ouest. C’est une projection très proche de la réalité.
Il faut remarquer que, même avec un différentiel de transport et des débours égal à zéro, le PMF réel est toujours supérieur au PMF structure ($ 711,75 > $ 584,62).
Le premier inconvénient de cette baisse des prix des carburants à la pompe est l’augmentation substantielle des pertes et manques à gagner sur le PMF, sur la marge bénéficiaire, égale à 10% du PMF.
Le Gouvernement de la RDC, via le Ministère de l’Economie Nationale a unilatéralement réduit la valeur du différentiel de transport (premium diminué de 120 à 87$) et quelques lignes auraient été supprimées dans les débours. Cette gymnastique unilatérale a permis d’obtenir le PMF égal à environ $ 584,62/m3.
2.2. Le taux de change
Le deuxième inconvénient de cette baisse de prix du carburant à la pompe est la fixation du taux de change structure à 2.600 FC pour 1 $US, alors que le taux sur le marché de change est de 2.860 FC pour 1 $US. Cela signifie que la société pétrolière chargée de vendre du carburant en station-service au taux structure de 2.600 FC, va acheter du carburant auprès des fournisseurs, en dollar américain au taux de 2.860 FC. Ceci entraine inévitablement des pertes et manques à gagner qui s’ajoutent à ceux sur le PMF et sur la marge bénéficiaire.
Les écarts entre les PMF (17,86%) et entre les taux de change (9%), sont bien au-delà du seuil de tolérance, ce qui implique l’actualisation de ces paramètres. Publier une structure des prix des produits pétroliers en l’état est tout simplement suicidaire.
La loi n°18/020 du 09 juillet 2018 relative à la liberté des prix et à la concurrence, stipule à son article 6 que « les prix des biens et services sont librement fixés par ceux qui en font l’offre. Ils ne sont pas soumis à homologation préalable mais doivent, après qu’ils aient été fixés, être communiqués, avec le dossier y afférent, au Ministre ayant l’Économie Nationale dans ses attributions, pour un contrôle a posteriori ».
En ce qui concerne les produits pétroliers, l’article 8 stipule « par dérogation à la disposition de l’article 6 ci-dessus, les prix des hydrocarbures et des transports publics sont fixés par le Ministre ayant l’Économie nationale dans ses attributions tandis que les prix de l’électricité et de l’eau sont fixés conjointement par les Ministres ayant l’Économie nationale, l’électricité et l’eau dans leurs attributions. Pour le transport public, il peut déléguer cette compétence aux Gouverneurs des provinces ».
Dans la pratique, au regard des implications sécuritaires, sociales, politiques et économiques que requièrent ces produits, la fixation de leurs prix se fait en concertation entre le Gouvernement via le Ministre de l’Economie Nationale et la profession pétrolière à travers un instrument appelé « Comité de suivi des prix des produits pétroliers, CSPPP en sigle ».
Le troisième inconvénient de cette baisse des prix à la pompe, est la violation par le Ministère de l’Economie de la réglementation en cette matière. Que deviennent les stocks des produits pétroliers acquis au PMF de la structure antérieure ? Cela occasionne d’énormes pertes sur stock qu’il faut rémunérer si l’on tient à avoir un approvisionnement régulier du pays.
Le quatrième inconvénient de cette baisse des prix à la pompe, est l’augmentation exponentielle des pertes et manques à gagner. Il faut rappeler que le montant des pertes et manques à gagner certifié au 30 juin 2024 est d’environ 350 millions USD, non encore payés aux sociétés pétrolières à ce jour. Il parait évident que d’ici le 31 décembre 2024, qu’on puisse avoisiner un milliard USD des pertes et manques à gagner.
En définitive, l’objectif poursuivi par le Ministre de l’Economie Nationale rejoint les attentes de la population comme dit ci-haut. Toutefois, sans être pessimiste, le prix du transport risquerait de ne pas baisser, encore moins ceux des denrées de premières nécessité, car ils sont indexés sur le taux de change et non sur le prix du carburant. C’est le cinquième inconvénient de cette baisse des prix à la pompe.
Est-ce que le Ministre de l’Economie se rend-il compte que le prix de 3.490 FC n’était pas contesté par les consommateurs Congolais en général et Kinois en particulier, qui préfèrent avoir librement accès aux produits pétroliers à ces prix-là, que d’être soumis à des tracasseries multiples pour avoir éventuellement du carburant au prix revu à la baisse. Il risque d’avoir rupture des stocks, si l’Etat continue à ne pas payer les pertes et manques à gagner découlant du gel des prix que lui-même occasionne.
Toute économie qui pourrait se dégager dans cette activité de commercialisation des produits pétroliers, devrait servir à éradiquer le phénomène des pertes et manques à gagner, car ils causent d’énormes dégâts pour les sociétés pétrolières et paradoxalement pour le trésor public. Nos dirigeants, notamment le Ministre de l’Economie Nationale n’est pas censé prendre des mesures si impopulaires, qui n’ont qu’un seul avantage d’améliorer le pouvoir d’achat d’une infime partie de la population, et ce, au moment où notre pays est injustement agressé dans sa partie est, et a besoin des ressources financières pour recouvrer l’intégrité de son territoire. On a l’impression que l’Etat ne s’aime pas.
Fait à Kinshasa, le 8 octobre 2024.
Georges-Kettel YAMBA NGOIE
Administrateur des Sociétés