Kinshasa : Denise Kayuyu est-elle poursuivie sans motif ?
Depuis presque plus de trois mois, la bailleresse d’une grande parcelle dans la commune de Mont-Ngafula, Denise Kayuyu est sous les jougs des services de sécurité de la République Démocratique du Congo.
Victime d’une histoire de bailleresse et locataire mal appréhendée, Denise Kayuyu s’est heurtée à une situation qui a tourné en un pire moment de sa vie. Accusée de complicité dans une affaire impliquant directement les activités orchestrées par son locataire au sein même de sa parcelle, elle purge une chasse à l’homme en raison de sa position de bailleresse.
D’une vie normale au cauchemar
A 47 ans, Denise Mambwamba Kayuyu, femme commerçante, mariée et mère de 3 enfants, connait les expériences les plus brutales et les plus douloureuses de sa vie.
Feuilleton judiciaire
Arrestations, persécutions, séquestrations, kidnappings, chantages, enlèvements : telles sont les péripéties, mêlées aux drames, d’une bailleresse injustement malmenée pour un contrat de bail résilié avant terme dont les causes relèvent des mystères.
Tout commence au beau matin du 13 juillet 2023. Denise Kayuyu, gestionnaire des propriétés immobilières familiales possédant une concession de 720 mètres carrés, située sur CPA 32 dans le quartier CPA Mushie de la commune de Mont-Ngafula, est appréhendée de façon brutale par 4 individus non identifiés. Menottée, elle se voit embarquée aussitôt, sévèrement, par des présumés agents des services spéciaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) sortis d’un véhicule, pour une destination inconnue.
Le début du mystère
Après cette arrestation subie arbitrairement, Denise se retrouve dans une villa située au centre-ville, à Gombe ; une parcelle placée sous la garde de quelques éléments de la police et des hommes en tenue civile.
C’est à cet endroit que 3 personnes non autrement identifiées l’auditionnent, dans un local bien aménagé, pendant plus de 4 heures du temps sur les activités de l’ONG de Jérôme Heri Bitamala, son locataire.
La relation entre Denise Kayuyu et Jérôme Bitamala est une histoire de bailleur et locataire. Ce dernier louait 2 appartements dans la concession de Denise. Un lui servait de maison d’habitation et un autre couvrait les activités de son ONG, Centre de recherche sur l’anti-corruption (CERC EUP).
Par un contrat de bail en bonne et due forme signé le 15 janvier 2021, Jérôme s’engageait à payer son loyer sans avoir à déterminer les formes d’activités qu’organiserait son ONG. Et cela ne faisait nullement pas partie du contrat.
La bailleresse percevait l’argent du louer auprès Wivine Byamungu Masumbuko, administratrice déléguée de l’organisation dirigée par Jérôme. A la fin du mois de mars 2023, le locataire lui fait part des difficultés qu’il rencontre qui l’empêcheraient d’assurer son loyer et lui propose, par-là même de consommer la garantie locative pour les 6 mois restants avant de libérer ces appartements, pour la fin du mois d’août 2023. Pour réaffirmer sa volonté, Jérôme signe un acte d’engagement.
Il s’avère que le CERC EUP organisait des activités jugées suspectes. A la villa de la Gombe, Denise Kayuyu subissait donc un interrogatoire de plus coriace sur les activités de cette organisation ; sur sa complicité supposée avec les groupes rebelles qui œuvrent à l’est de la République démocratique du Congo ; sur la couverture de ses activités commerciales ; sur la provenance de l’argent ayant servi à l’achat de sa concession, etc. C’est là le début du mystère d’une histoire de location d’appartements qui se transforme en une opération de matraquage.
Le nœud du problème
Avant son arrestation ayant intervenu le 13 juillet 2023, Denise Kayuyu était informée du départ de Jérôme Bitamala, le 30 juin 2023, par son concierge, laissant toutes les affaires dans ses appartements.
En apprenant la nouvelle, elle a tenté de contacter Jérôme, puis Wivine Byamungu par la suite, pour confirmer la nouvelle, mais elle n’a reçu aucun feedback. En peu de mots, le départ brusque de Jérôme sans prendre effets ni meubles s’apparente à une fuite préparée et méditée minutieusement.
L’arrestation de Denise complète la liste des arrestations qui se sont succédé dans sa parcelle. Complot, un bien beau mot pour qualifier tout cela.
La date du 12 juillet 2023 rappelle le début des événements ; c’est à cette date qu’un groupe d’hommes armés, estimé à une dizaine et sans uniformes, ont débarqué dans la parcelle de Denise Kayuyu, sans mandat de perquisition, avec une voiture de marque Toyota de couleur blanche sans plaque d’immatriculation, pour fouiller de fond en comble les appartements et particulièrement les bureaux du Centre de recherche sur l’anti-corruption de Jérôme Bitamala.
Au moment où ces hommes fouillaient les bureaux de Jérôme, celui-ci croupissait, déjà, selon des indiscrétions, dans les locaux des services de renseignements, car étant suspecté d’organiser régulièrement des réunions nocturnes dans ses bureaux. Et donc, des bureaux tenus dans la parcelle de Denise.
Le calvaire
Tard dans la même nuit du 12, après avoir reçu l’appel urgent sur le raid des hommes armés, Denise est informée de l’arrestation de son concierge, Martin Muzama, ainsi que des trois individus trouvés sur le lieu.
Des individus sans alibi et jugés suspects. Ils subissent une brutalité et une arrestation des plus sévères, après la découverte d’un container dans la parcelle, dans lequel plusieurs effets militaires y étaient gardés. De là, s’en suit une saisie immédiate de ces effets par les agents de l’ANR et de la Justice militaire présents sur le lieu.
Au bonheur des surprises, Madame Mbumba, une des résidents de la parcelle, est épargnée en raison de sa grossesse presqu’à terme.
Entre-temps, il faut noter qu’en date 5 juillet 2023, Denise Kayuyu se rendait aux services de l’habitat pour signaler le départ de Jérôme afin qu’ils fassent le constat et établissent par ailleurs les faits.
Elle ne laissait rien lui échapper. Malgré ces efforts, les accusations injustes faites à son encontre pèsent encore sur elle.
Pour des faits qu’elle n’a directement pas commis, plusieurs griefs lui ont été cités, dans cette villa de l’ANR à Gombe, le 13 juillet 2023.
Entre autres accusations, son interrogatoire concernait également sa relation avec Jérôme Bitamala étant donné que celui-ci organisait des activités de son ONG dans la parcelle de Kayuyu, et de ce qu’elle savait ; sa relation avec les 3 individus arrêtés tard dans nuit du 12 juillet 2023 dans sa parcelle et le motif de leurs présences sur le lieu, puisqu’ils sont considérés comme étant membres des organisations terroristes d’autant plus qu’ils tiennent, semble-t-il, des réunions dans sa concession et dans les bureaux occupés par Jérôme ; le financement de ses activités commerciales et de sa relation avec ces 3 individus étrangers.
Sa première incarcération
Sur la base d’un lien indirect avec son locataire, Denise Kayuyu passe plus ou moins 10 jours, soit du 13 au 21 juillet 2023, privée de liberté, privée d’avocat, privée de visite, privée d’eau et de nourriture, enfermée jour après jour dans une petite cellule non éclairée, et obligée de se frotter avec un détenu rencontré sur place. Une torture morale qui a fini par affecter le corps et causer son traumatisme.
Elle vivait ses jours et nuits à se présenter uniquement au moment de rudes interrogatoires ; voyait le jour seulement pour faire ses toilettes et de grignoter quelques miettes de riz, de haricots et de pains qu’ils bénéficiaient pendant leur temps de séquestration.
Pour les bourreaux de l’ANR qui la détenaient, Denise ne pouvait guère ignorer les activités qui se déroulaient dans sa parcelle. Ils lui accusaient d’être de mèche avec ces personnes qui tenaient des réunions secrètes contre le régime au pouvoir, sous le label de cette ONG que dirigeait Jérôme Bitamala.
Pire, ces agents l’ont accusée d’être le parrain de cette organisation, travaillant pour le compte du pouvoir de Kigali et bénéficiant des financements provenant du Rwanda, par blanchiment d’argent reçu directement de l’Opposition congolaise.
Une chasse à l’homme honteuse
Denise Kayuyu respire certes une bouffée d’air le 21 juillet 2023, mais cela ne règle pas les problèmes. Sa libération renferme des conditions. D’abord, il lui est demandé de payer une caution de 50.000 dollars américains ($) en liquide auprès de l’OPJ instructeur. Une extorsion pure et simple, fomentée par des personnes non habilitées.
Ensuite, on la somme de déposer aussi vite que possible des titres de propriété de sa concession immobilière de CPA et les états financiers de son établissement « Denise Business » aux services tortionnaires. Enfin, de présenter la copie de son passeport.
Le genre de traque que subit Denise Kayuyu devient fréquent avec les agents prétendument des services de renseignements (ANR) et Demiap.
Ils ordonnent des chasses à l’homme pour des intérêts puérils et égoïstes, ou pour rançonner de paisibles citoyens au nom d’un acteur politique influent ou d’un membre influent du pouvoir en place. Les raisons sont multiples : vol de propriété, lotissement de terrain, usurpation des biens, etc.
Avis de recherche sur avis
Mais la chasse à l’homme amorcée contre la pauvre Denise est honteuse. Elle se fonde sur des simples allégations et conjectures. Dans le fond comme dans la forme, l’arrestation de la propriétaire d’une parcelle ayant tous les documents complets ne s’appuie sur aucune base juridique, d’autant qu’aucune instruction dans aucune juridiction compétente n’a été ouverte.
Au matin du 3 août 2023, vers 6 heures du matin, des éléments de la police et des agents de l’ANR en tenue civile descendent d’une jeep de couleur bleu pour arrêter, pour une deuxième fois, Denise Kayuyu, dans son domicile à Kintambo sur l’avenue Bangala 400, dans le quartier Itimbiri.
En présence de ses enfants, ces personnes lui ont escorté précipitamment. Sans lui donner le temps de se changer, ils l’ont amenée au bureau de la Demiap à Kintambo, tout près de l’école que fréquentent ces enfants. 3 jours de suite, elle subit de nouveaux interrogatoires, de nouvelles accusations et de nouvelles confrontations.
Après son relâchement, une condition pèse sur elle : l’agent instructeur de son dossier lui fait signifier qu’elle ne pouvait pas quitter le pays sans autorisation et que ses mouvements seront contrôlés jusqu’à la clôture du dossier.
Cette chasse à l’homme prend une tournure plus dangereuse. Denise Kayuyu a commencé à recevoir des appels des personnes anonymes, des menaces de mort, des intimidations, lui demandant de tenir sa langue au risque de payer le prix de 3 autres personnes arrêtées dans sa parcelle ; des appels anonymes qui lui rappelaient, pour son bien-être, combien il était important de ne livrer aucune information de ces évènements. Grâce à notre contact, nous avons pu avoir des détails importants de l’affaire que nous exposons dans ce récit.
« Cette situation n’a cessé de créer l’insécurité autour de moi, ne m’a plus permis de vaquer à mes occupations et n’a cessé de me traumatiser, car répondant d’un côté aux convocations de la justice militaire m’accusant de complice de certaines forces rebelles œuvrant dans l’est du pays »
, nous a confié Denise Mambwamba Kayuyu.
Et de rajouter : « De l’autre côté, je faisais face à des menaces de mort venant de toutes parts sur des personnes qui semblaient parfaitement connaître mon identité ».
A ce jour, sa concession de CPA est en danger. Les activités de son entreprise sont à l’arrêt. Ses locataires craignent le pire et démangent pour préserver leurs vies. Ses enfants vivent dans une insécurité permanente. Actuellement, sa parcelle est la cible des visites suspectes des personnes inconnues au quotidien.
« A cet instant, je n’ai qu’une seule idée : d’aller me refugier quelque part en attendant que cette situation se calme »
a dévoilé Denise.
Son S.O.S.
Du jour au jour, elle ne cesse de déposer des plaintes contre inconnus auprès de la police de proximité qui couvre la zone municipale de Kintambo, afin qu’elle se saisisse de l’affaire. Par ailleurs, elle compte solliciter des visas pour un voyage touristique pour elle et sa famille. Elle mérite nouvelle vie, mais ailleurs.